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Fille lisant avec une mère âgée

Entretien avec Rachel Thompson, fondatrice de Marlena Books

Dans des articles de blogue précédents, nous avons parlé des troubles de communication  qui touchent les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de maladies apparentées, y compris de la difficulté à lire. Nous aimerions vous présenter maintenant Rachel Thompson, une jeune entrepreneure qui a fondé Marlena Books , une entreprise en développement qui crée des livres adaptés aux personnes atteintes d’une maladie cognitive afin de les aider à continuer à lire et à prendre plaisir aux histoires.

Vous avez démarré Marlena Books pendant votre dernière année à l’Université de Waterloo, inspirée par votre expérience auprès de votre grand-mère. Pourriez-vous nous en parler?

Ma grand-mère paternelle est atteinte d’une maladie cognitive depuis maintenant douze ans. Elle a reçu son diagnostic avant mon entrée au secondaire, et avant mes études à l’université. Ma relation avec elle était influencée par la façon dont la maladie la touchait. La lecture était le sujet qui nous rapprochait le plus – dans notre famille, nous sommes tous des lecteurs avides. Nous prenions rendez-vous chez Chapters, c’était notre lieu de rencontre privilégié. Pendant ma dernière année à l’université, elle n’arrivait plus à lire de livres. Je me suis dit « Cela fait partie de l’évolution de la maladie », et je n’y ai plus pensé jusqu’au jour où nous étions chez elle et où elle a lu les grands titres d’un journal à voix haute. Je me suis dit « Ça alors, vous pouvez lire! »

J’ai fait des recherches sur la lecture et les maladies cognitives. Je pensais que d’autres personnes devaient être touchées comme ma grand-mère. Mais quand je suis allée en ligne pour acheter un livre pour elle, un livre destiné particulièrement à une personne atteinte d’une maladie cognitive, je n’ai rien trouvé. C’est alors que l’idée de Marlena Books m’est venue. Le nom « Marlena » est la combinaison des prénoms de mes deux grands-mères – Marylin, qui est atteinte d’une maladie cognitive, et Helena, qui luttait contre le cancer du sein et qui est décédée depuis.

Comment avez-vous appris à créer des livres destinés aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de maladies apparentées?

Je n’y connaissais rien dans la publication de livres! L’Université de Waterloo offre quelques programmes intensifs sur le campus et hors campus, parce qu’elle a un énorme mandat entrepreneurial. GreenHouse au St. Paul’s University College est une communauté qui travaille avec des entreprises à portée sociale – des entreprises qui espèrent redonner d’une certaine façon à la collectivité. J’étais sur le point d’obtenir mon diplôme, et il y avait un concours pour ma faculté, celle des sciences de la santé appliquées. On n’avait qu’à présenter une idée, aucun plan d’affaires n’était nécessaire. J’ai présenté mon idée, puis je suis rentrée à la maison pour les vacances de Noël et je n’y ai plus repensé jusqu’à mon admission l’année suivante dans un atelier de six semaines. Ce qui a culminé en une présentation orale visant à décrire les points positifs de mon projet, et m’a permis d’être au nombre des quatre gagnants invités à leur programme d’été.

Je suis restée sur le campus, j’ai participé à des ateliers puis j’ai élaboré notre plan d’affaires. GreenHouse m’a mis en contact avec des imprimeurs et des éditeurs pour apprendre comment lancer un livre. J’ai travaillé beaucoup par moi-même aussi sur l’auto-édition. Alors, c’était grâce à mon travail autonome associé à des cours pratiques et à des contacts que j’ai pu obtenir par l’intermédiaire de GreenHouse.

Quelles caractéristiques des livres ont été conçues en tenant compte des besoins des patients atteints d’une maladie cognitive?

Nous avons examiné tout le processus, et je crois que c’est l’une des choses que nous avons bien faites. Nous n’avons pas tenu compte seulement du déclin cognitif des lecteurs et de la façon d’aborder ces problèmes; nous avons tenu compte de toute la personne. Les personnes âgées présentent souvent des maladies concomitantes, y compris une perte de vision et une perte de dextérité. Alors nous avons consulté des chercheurs sur le campus et avons effectué des recherches en ligne.

Au nombre des caractéristiques physiques des livres, notons un texte approuvé par l’INCA, alors les personnes qui présentent une perte de vision quelconque peuvent le lire. Les livres sont également dotés d’une couverte rigide et de pages plus épaisses, ce qui est pratique pour les adultes qui ont des problèmes de dextérité. Et nous nous sommes assurés que les livres redonnaient aux personnes atteintes d’une maladie cognitive leur dignité. J’avais remarqué que les livres offerts dans l’établissement de soins de longue durée où nous venions d’admettre notre grand-mère étaient des livres pour enfants, beaucoup de personnes ne les prenaient pas parce qu’ils ne présentent pas beaucoup d’intérêt pour des personnes âgées. Alors, nous avons fait en sorte que nos livres ressemblent à des romans – ils ont la même taille que les livres ordinaires – et les histoires sont intéressantes.

Nous avons travaillé avec des chercheurs à l’école d’optométrie de l’université pour en savoir plus sur les changements dans le mouvement des yeux des personnes atteintes d’une maladie cognitive. Nos livres ont des marges plus larges et le texte couvre seulement la moitié de la page. Dans nos essais, nous avons constaté que les personnes étaient dépassées lorsqu’ils regardaient une page pleine. Des zones vierges les aident à se consacrer sur les mots, et il y a une image sur la page opposée. Il y a également des messages invitant le lecteur à tourner la page.

Le niveau de lisibilité ou de difficulté des textes correspond à 5, ce qui est accessible à la plupart des gens. Les livres sont courts, et ils peuvent être lus par une personne atteinte d’une maladie cognitive en dix à quinze minutes – alors le problème de l’oubli après avoir lu un chapitre ne se pose pas le jour suivant.

Combien de livres Marlena Books a-t-elle publiés?

Nous avons dix livres, disponibles selon un calendrier rotatif. Quelques-uns sont saisonniers. Nos principaux ouvrages, comme ceux sur le jardinage ou une histoire d’amour, sont populaires toute l’année. Nous venons de terminer une histoire sur l’agriculture qui sera publiée en octobre. En novembre, nous publierons une histoire sur le football.

Comment choisissez-vous vos histoires?

Nous avons certainement dû apprendre et nous renseigner. Au début, nous croyions savoir ce que les personnes âgées aimaient, alors nous avons commencé par l’histoire d’amour et le jardinage. Puis, en faisant des essais auprès des lecteurs, nous avons commencé à recevoir des suggestions auxquelles nous n’aurions pas pensé. Ils demandaient des histoires sur ce qu’il y avait dans leur vie. Alors, nous avons publié une histoire sur la construction, car beaucoup de gens en soins de longue durée avaient fait faire des travaux de construction chez eux. Une autre demande portait sur l’observation d’oiseaux. Beaucoup de personnes âgées passent leur temps à regarder les oiseaux par la fenêtre. Maintenant, nous demandons à nos lecteurs ce qui les intéresse, et nous cherchons des idées pour nos histoires auprès d’eux. Une autre demande qui revient souvent, ce sont les histoires de meurtre, mais nous devons encore y travailler.

Comment les clients ont-ils réagi à vos livres?

La plupart des commentaires sont vraiment positifs. Les gens sont surpris d’abord d’apprendre que leur être cher est capable de lire. La fille d’une cliente nous a écrit que lire nos livres lui permettait de passer un moment spécial avec sa mère et de suivre son évolution cognitive. Souvent, parce que les histoires intéressent les lecteurs, elles leur rappellent des souvenirs, et la personne commence à parler de quelque chose qui s’y rapporte.

Nous l’avons constaté dans notre propre famille. Quand un être cher est atteint d’une maladie cognitive ou est admis dans un foyer de soins, il devient plus difficile de trouver des façons de communiquer avec eux. Lorsque ma grand-mère a été admise dans un foyer, mon père allait lui rendre visite et cela le frustrait. Il trouvait que c’était une perte de temps parce qu’elle ne réagissait pas à sa présence et qu’ils ne pouvaient rien faire ensemble. Alors, nous avons commencé à lui demander de lui rendre visite avec les livres. Il lui lisait l’histoire, et après ils arrivaient à parler de choses et d’autres, et à communiquer de cette façon. Alors mon père se sent mieux maintenant quand il va la voir.

Quel conseil pourriez-vous donner aux proches et à d’autres aidants qui désirent aider leurs êtres chers atteints d’une maladie cognitive à continuer à profiter de la lecture?

La première chose que nous remarquons en travaillant avec les familles, c’est que sont les groupes qui ont le plus grand nombre de préjugés envers les personnes atteintes d’une maladie cognitive. Ce sont eux qui disent souvent « Oh non, ils ne peuvent pas faire ça. » ou « Ça fait une éternité que je ne l’ai pas vu faire ça. »

Si votre être cher est atteint d’une maladie cognitive, continuez à essayer des choses qui l’intéressent. S’ils ne participent plus comme avant, essayez de nouvelles façons d’établir un contact avec eux. S’ils s’intéressent à la lecture, essayez différents formats. Si leur maladie n’a pas évolué au point de nécessiter nos livres, essayez des revues au lieu de journaux, ou essayez des livres à caractères plus gros ou des histoires plus courtes. Les livres numériques ont aussi des fonctions géniales, comme la possibilité de changer la taille de la police.

N’ayez pas peur du changement. Les gens craignent souvent de donner à leurs êtres chers des livres destinés à des lecteurs plus jeunes parce qu’ils croient qu’ils ne leur conviennent pas. Mais s’ils lisent encore bien, ce qui est merveilleux, c’est une façon de nourrir leur intérêt. En dernier lieu, il y a plusieurs façons de lire. Lorsque quelqu’un commande nos livres, nous ajoutons un dépliant explicatif sur les quatre façons de les utiliser. Certaines personnes les lisent seules, mais d’autres ont besoin de plus de soutien. Par exemple, vous pouvez pointer les mots avec les doigts, y aller mot par mot, ce qui facilite le mouvement des yeux.

Dans les établissements de soins de longue durée et les bibliothèques de Kitchener, nous avons pris l’initiative d’introduire des clubs de lecture, grâce à une subvention du gouvernement fédéral. Nous faisons une foule de choses – chaque personne lit une page d’un livre, ou nous lisons une histoire et en discutons ensemble. Alors, s’il y a une activité qui plaît à votre être cher atteint d’une maladie cognitive, gardez l’esprit ouvert sur la façon dont il pourrait participer, et n’abandonnez pas. Des modifications peuvent faire une énorme différence pour lui.

En 2018, Marlena Books a lancé une application pour l’iPad d’Apple. Pourquoi avez-vous décidé de créer une application?

Même si nous adorons l’idée des livres et nous y tenons vraiment beaucoup, ces livres intéressent seulement un certain groupe de personnes atteintes d’une maladie cognitive, des personnes capables de lire à ce niveau un livre de 30 à 45 pages. L’application est une façon d’élargir ce que nous offrons et de rejoindre un plus grand nombre de lecteurs. Elle comprend beaucoup de fonctions d’accessibilité pour personnes atteintes d’une maladie cognitive à un stade plus avancé, comme le changement automatique de pages, et la lecture audio pour ceux qui n’arrivent plus à lire par eux-mêmes. Les histoires sont personnalisées, le personnage principal porte le nom du lecteur, ce qui, d’après nous, a beaucoup d’impact. Nous pouvons également modifier le niveau de lisibilité et passer du niveau 5 standard au niveau 8, ou inversement au niveau 3. Nous sommes bien heureux d’avoir pu intéresser plus de lecteurs.

Lors de nos essais, nous avons découvert que d’autres groupes de lecteurs pouvaient utiliser l’application, principalement des personnes atteintes de la maladie de Parkinson ou de la maladie de Huntington – toute maladie provoquant des tremblements. Tenir un livre est très difficile pour eux, mais grâce aux fonctions de changement de page et de lecture audio de l’application, il est possible de l’utiliser en mode mains libres. Lorsque nous avons réglé les paramètres pour eux, ils étaient capables de poursuivre la lecture de l’histoire. C’est une chose à laquelle nous n’aurions pas pensé.

Nous recueillons de notre côté des données sur la fréquence à laquelle les gens lisent et les fonctions d’accessibilité dont ils se servent. Nous envoyons des rapports aux foyers de soins et aux familles. Nous désirons ajouter plus d’outils d’évaluation à l’avenir afin d’aider les foyers de soins à comprendre les besoins des personnes dont elles s’occupent. Nous espérons aussi lancer une version de l’application pour appareils Android.

Comment Marlena Books entrevoit-elle l’avenir?

Nous sommes établis au Canada, mais poursuivons activement notre croissance aux États-Unis – nous avons des bureaux dans dix-huit États maintenant. Nous élargirons ensuite nos activités dans d’autres pays anglophones. L’Australie fait un excellent travail dans le domaine des maladies cognitives, alors nous avons hâte de travailler avec les gens là-bas. L’ajout d’autres langues nous intéresse, comme le japonais. Le taux de maladies cognitives est élevé au Japon et les programmes de soins pour personnes âgées y sont excellents. Nous prévoyons aussi ajouter d’autres fonctions à l’application, en nous appuyant sur ce que nous avons appris des lecteurs pour qu’ils puissent avoir la meilleure expérience possible. Nous espérons pouvoir garder une longueur d’avance sur le marché, vu la croissance continue des besoins, et améliorer la qualité de vie des personnes atteintes d’une maladie cognitive de toutes les façons possibles. Notre équipe est jeune et avide d’apporter des changements, et nous sommes extrêmement motivés. Nous apprenons beaucoup de nos utilisateurs et de notre collectivité, et nous avons très hâte de savoir ce que l’avenir nous réserve.

Pour en savoir plus sur Marlena Books, visitez marlenabooks.com.

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